segunda-feira, 18 de janeiro de 2010

Yves Béal, Soleils & Cendre n°15

"LA POESIE SERA FAITE PAR TOUS.
NON PAR UN". (Lautréamont)

par Yves Béal
La poésie...
Quand donc cessera-t-on de considérer la poésie comme suite de mots qui riment, de faire croire à une poésie - récitation du monde.
Quand donc cessera-t-on de réduire la poésie au poème, au lai, au madrigal ou au sonnet, à un art du langage lorsqu'il s'agit avant toute chose de regarder le monde. Pas pour le contempler mais pour l'agir, le transformer, le réenchanter.
En fait, la poésie est un verbe, un verbe d'action, mieux, un verbe de combat.
La poésie doit être...
Oui et sans doute est-elle déjà. Mais la poésie n'existe pas en dehors des hommes et du regard qu'ils portent sur le monde.
La poésie, c'est ce regard audacieux que Galilée porta sur un lustre qui oscillait ou celui de Newton sur une pomme qui tombait.
La poésie doit être ... parce qu'elle est création par l'homme et aussi création de l'homme : création du monde. Et ce qui compte là, c'est la matérialisation d'un regard sur ~ monde : un regard (ou un monde) "beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie." (Lautréamont)
La poésie c'est une pensée agie, c'est la conscience de ce que tu as vécu et que tu voudrais ou ne voudrais pas vivre, c'est le sens de la vie.
La poésie doit être faite...
Là encore oui, elle doit être faite, fabriquée, produite, usinée, travaillée. Il y a forfaiture chez ceux qui avancent l'inspiration comme moteur de la poésie ils s'abusent, ils abusent.
Oui, elle doit être faite, presque extorquée, douloureusement, dans la souffrance d'une lutte sans merci contre la fatalité des choses qui semblent s'imposer à nos visions parcellaires.
Oui, elle doit être faite, arrachée au jour et à la nuit, parce qu'on ne s'apprend pas facilement à voir le beau dans le laid, et encore j'insiste, car il s'agit de comprendre, prendre avec soi, arracher à l'évidence, surprendre aussi, embarquer, enflammer, concevoir.
Oui, elle doit être faite à longueur de seconde, à hauteur de conscience, arrachée (il n'y a pas d'autre mot) à la bête immonde qui surgit sans cesse jusqu'en nous-mêmes.
Et parce qu'elle est fruit d'un travail d'accoucheur d'étoiles, elle est fait extraordinaire, acte toujours neuf, elle est fête et jouissance, elle est faîte, cime, sommet, haut-lieu d'humanité. Construction d'un regard universel.
La poésie doit être faite par tous...
Oui par tous, car c'est de la vie dont il s'agit, du sens de la vie, disions-nous plus haut. Et Si donc, la poésie, c'est cette manière de réenchanter le monde, presque, devrions nous dire en ces temps troubles, cette manière de réenfanter le monde, il nous faut convenir, nous poètes, que notre pouvoir est à partager, faute de quoi l'écrit resterait vain et nous n'aurions pas mieux fait que ces hommes politiques qui récitent, telles litanies, les mots liberté et démocratie et ne se rendent pas compte que l'onanisme, même applaudi par les foules, n'a jamais engendré que plaisir éphémère.
La poésie doit être faite par tous... Non par un.
Ici le choix est offert.
Au poète d'être dictateur qui fait voir le monde tel qu'il voudrait qu'il soit.
Au poète d'être procréateur et alors il ne peut se suffire à lui-même, il doit s'accoupler, se démultiplier en créant, en même temps que le poème, les conditions de la création, les conditions de la poésie, les conditions du combat de la vie, par d'autres, par tous les autres, par tous donc par nous-mêmes. Les conditions d'une "rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie."

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